Drôle de rencontre
Sur les ronds-points on tourne en rond, on le sait. Ils sont même faits, au moins en partie, pour ça. Ils peuvent aussi être dangereux, pour les cyclistes notamment. On a pu également, sur certains, rencontrer des "gilets jaunes". Ce jour-là, sur l'un d'eux, il y en avait un, bien visible : le mien. Je rentrais d'une balade solitaire à vélo. En fin de parcours j'avais à faire le tour quasi complet de l'anneau, trois doubles voies à traverser en empruntant la piste cyclable, bien entendu. Une, puis deux, à mon approche les voitures qui arrivent stoppent. Me voici sur la troisième. Une voiture s'arrête. J'en vois une autre, sur la seconde voie, qui ralentit, ralentit, elle va me laisser passer, c'est sûr, d'autant qu'avec mon gilet jaune le conducteur ne peut pas ne pas me voir. Sauf qu'il ne s'arrête pas et heurte ma roue arrière et me projette sur le macadam.
La fautive plus atteinte que moi
On me relève. Bizarrement je ne ressens aucun mal. Une jeune femme descend de la voiture, visiblement paniquée. Je commence à lui crier dessus mais sa mine défaite, les reproches qu'elle- même s'adresse immédiatement, sa volonté de me porter secours, me désarment vite. Approuvée par les quelques témoins présents, craignant les conséquences de ma chute, elle veut absolument m'emmener à l'hôpital. Mais n'ayant pas vraiment mal, je refuse. Je constate que mon vélo a plus souffert que moi, il ne peut plus rouler. En conséquence je demande à la coupable de nous ramener, lui et moi, à la maison. Ce qu'elle fait. Chez moi, elle culpabilise tellement qu'avec ma femme nous nous efforçons de la réconforter. Pas de doute, elle est plus atteinte que je ne le suis. Chez le vélociste où elle m'a emmené avec mon vélo pour la réparation, ne sachant pas quoi faire pour atténuer sa faute, elle se montre plus exigeante que je ne le suis s'agissant de la qualité des pièces destinées à remplacer celles endommagées, sans lésiner sur ce que ça lui coûtera. Un devis lui est remis en même temps qu'à moi Apparemment elle ne fera pas intervenir une assurance, elle ne me donne aucun papier à signer, ne me demande aucune déclaration. Après qu'elle m'ait à nouveau ramené à la maison nous nous quittons dans les meilleurs termes, la gentillesse appelant la gentillesse. Le soir nous l'appelons au téléphone pour à nouveau la réconforter et lui souhaiter une bonne nuit, elle risque en effet de mal dormir tellement elle se sent fautive et ne s'en remet pas.
Les jours suivants j'ai mal aux côtes mais ne le signale pas à la responsable que je ne souhaite pas culpabiliser davantage.
Peu de temps après, la voici qui arrive à la maison sans avoir prévenu et, à ma surprise, débarque de sa voiture mon vélo entièrement réparé. Elle s'est occupée de tout, a veillé à sa parfaite remise en état, y compris le remplacement d'une manivelle qui n'avait pas été compris dans le devis, et a réglé la facture. Nous devenons amis...
Et la tolérance ?
Depuis lors je me dis que tous les automobilistes ne sont pas des adversaires potentiels des cyclos même quand ils se montrent dangereux pour ceux-ci, souvent par inconscience ou distraction. Celle qui m'a renversé a reconnu avoir été troublée par les pleurs de sa petite fille assise sur la banquette arrière. Auquel d'entre nous il n'est jamais arrivé d'avoir ne serait-ce qu'un court instant d'inattention au volant ?
Cela dit, méfiez-vous des ronds-points et, surtout, des automobilistes les empruntant. Ils ne sont pas tous dans d'aussi bonnes dispositions que celle que j'y ai rencontrée... Au fait s'ils l'étaient tous et nous, cyclos, pareillement (nous ne sommes pas toujours sans reproche), notre coexistence à tous sur la route ne s'en trouverait-elle pas facilitée ?
Michel Dautresme
Drôle de rencontre : suite
Un ami cyclo m'a interpellé à propos de mon article "Drôle de rencontre". Il me dit son désaccord : Tu excuses les automobilistes alors qu'ils ne sont pas excusables, me reproche-t-il. Tu as lu le "chapeau" qui précède ton texte et qui raconte une scène d'une "violence incroyable" ayant opposé un chauffard à un cycliste parisien ? poursuit-il. Alors que toi, à travers ton article tu n'es qu'indulgence pour eux. D'ailleurs, ajoute-t-il, j'ai eu connaissance d'un communiqué de la Fédé qui me semble plus fondé que la conclusion de ton histoire". Je connais ce communiqué. Fondé il l'est indiscutablement puisque, à juste titre, il s'insurge face au nombre croissant de cyclistes victimes d'accidents mortels dont des automobilistes sont responsables. Les vélos n'ont-ils pas "droit à la route tout comme les voitures, camions, motos ?". Comment ne pas partager ce point de vue. Cependant TOUS les automobilistes sont-ils à mettre "dans le même panier"? Je n'oublie pas que, cycliste, je suis aussi automobiliste. Et qu'il m'arrive alors de pester contre certains cyclos qui, occupant largement la chaussée, empêchent ou rendent dangereux tout dépassement, ou se jouent du code de la route "grillant" feux rouges et stops, etc. J'ai, personnellement, beaucoup roulé en ville et, plus particulièrement, à Paris où il m'arrive de le faire encore. Force m'est de constater que nombre de cyclistes y font preuve d'une telle désinvolture qu'ils sont dangereux pour tout le monde, les piétons, les autres cyclistes et se mettent eux-mêmes en danger de par leurs imprudences, laquelle peut énerver certains automobilistes. Cela dit, également cycliste il m'arrive souvent de vilipender les automobilistes qui me serrent d'un peu trop près ou qui me dépassent pour tourner aussitôt à droite au risque de me faire chuter. Beaucoup d'eux devraient avoir un peu plus conscience de la vulnérabilité des cyclistes.
Pour en revenir à ma propre histoire, percuté et renversé par une voiture, je m'en suis "tiré" au mieux. Mais la coupable aurait pu me tuer. D'où ma colère sur le coup. Et mes reproches alors violemment exprimés avant ma relative indulgence face aux accusations quela "chauffarde" s'adressait à elle-même, au sentiment de culpabilité l'ayant immédiatement assaillie. Il est vrai que je lui ai pardonné son manque d'attention mais pardonner n'est pas excuser et ça ne m'a pas empêché de lui faire sérieusement la leçon. Comme le rappelle la fédé dans son communiqué c'est "à chacun et chacune de faire attention à autrui, aux cyclistes sur la route".
En effet ce n'est pas en opposant sempiternellement les uns (les cyclistes) aux autres (les automobilistes) ou vice-versa qu'on réglera le problème. A cet égard les propositions de la fédé peuvent y contribuer : aménagements cyclables adaptés, apprentissage du "savoir rouler" à l'école, son introduction dans la formation au permis de conduire, signalisation rappelant le partage de la route, campagnes de prévention...
Reste qu'il appartient à certains automobilistes comme à certains cyclistes à davantage faire preuve de prudence. Et de tolérance, cette tolérance qui, d'une manière générale, fait tellement défaut dans le monde où nous vivons.
Michel Dautresme